Waiting..
Auto Scroll
Sync
Top
Bottom
Select text to annotate, Click play in YouTube to begin
00:00:06
Bonjour, je suis Aurélie Canizares, je suis maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'ENSFEA. Je suis rattachée à l'UMR EFTS, Education, Formation, Travail et Savoir. Mes recherches sont liées au numérique éducatif et portent sur la circulation des savoirs dans des situations d'enseignement apprentissage médiatisées, telles que les classes inversées,
00:00:30
les dispositifs d'enseignement à distance ou encore les jeux sérieux. Aujourd'hui, je vais vous parler de ce que font les élèves dans le cadre d'un escape game pédagogique et des stratégies de traitement de l'information qu'ils déploient. Je vais m'appuyer sur une publication que nous avons coécrite avec ma collègue Cécile Gardiès, et qui est parue dans la revue "Sciences du jeu". Nous nous sommes intéressées à la question des jeux sérieux
00:00:56
et particulièrement des escape games pédagogiques, car ils peuvent constituer une réponse au manque de motivation des apprenants dans un enseignement dit traditionnel. Alors, je vais partager mon écran et commencer par vous donner quelques éléments de définition. Qu'entend-on par jeu d'évasion ou escape game ? J'emploierai ces deux termes de manière interchangeable. De par sa définition,
00:01:23
un jeu d'évasion consiste généralement à s'échapper d'une pièce ou d'une succession de pièces dans un temps limité. Les joueurs doivent donc trouver et collecter un certain nombre d'indices et d'objets afin de résoudre des énigmes. Il s'agit donc d'un véritable défi qui exige de mettre en place rapidement et efficacement des stratégies d'anticipation, d'organisation,
00:01:51
de coopération entre les différents membres pour pouvoir être mené à son terme. Alors, il faut savoir que l'histoire des jeux d'évasion ou des escape games est relativement récente. Les premières escape rooms sont nées d'abord en Asie avant d'arriver sur notre continent au début des années 2010. Petit à petit, les jeux d'évasion ont gagné le monde de l'entreprise
00:02:20
et celui de l'éducation. Le jeu d'évasion sérieux revêt les caractéristiques d'un jeu sérieux puisqu'il met en relation un scénario qu'on peut qualifier d'utilitaire et des ressorts ludiques. Il repose ainsi sur un savant assemblage de savoirs mais aussi de jouabilité, c'est-à-dire la façon dont le jeu est joué, y compris l'intrigue,
00:02:47
les objectifs et la façon de les atteindre, ainsi que l'expérience globale d'un joueur. On peut également considérer le jeu comme un dispositif. Nous proposons pour cela de nous appuyer sur la définition de Michel Foucault qui a été pensée dans le cadre des dispositifs de pouvoir comme les hôpitaux ou les prisons et qui nous a semblé ici pertinente de mobiliser
00:03:12
au vu de la définition de l'escape game que nous avons donnée précédemment. Selon la définition que donne Foucault du dispositif, un dispositif renvoie à un ensemble hétérogène d'éléments, du dit et du non-dit, et possède une fonction stratégique dominante. En cela, nous pouvons dire qu'il est sous-tendu par une intention liée à une situation qui exerce à la fois des contraintes
00:03:42
et impose des limites. Ainsi, le jeu et le dispositif ont de nombreux points communs : des règles, une stratégie, des contraintes, des limites. En outre, l'intentionnalité inhérente au dispositif rejoint pour nous ici le ressort utilitaire de tout jeu, c'est-à-dire mettre en relation des joueurs
00:04:09
et des éléments de savoir. Cette idée de mise en relation nous conduit à aborder le concept de médiation, qui renvoie à l'idée d'un entre-deux. L'objectif étant, à travers le jeu, de créer un espace de significations communes entre enseignants et apprenants afin de faciliter la construction de connaissances chez les apprenants.
00:04:36
La construction du processus de médiation dans un jeu sérieux exige notamment un travail de réécriture qui est particulièrement complexe et dans lequel l'enjeu est bien de parvenir à associer et combiner adroitement un régime ludique et des logiques d'apprentissage. Dans cette étude, nous l'avons dit, nous nous intéressons aux stratégies de traitement
00:05:04
de l'information déployée par les joueurs. Nous intéresser aux informations traitées conduit à nous intéresser au sens. En effet, l'information n'existe pas en soi, elle devient connaissance lorsque celui qui la reçoit, lui attribue un sens. Ce processus de construction du sens peut être considéré comme le témoin
00:05:28
de la construction de connaissances. Ainsi, dans un jeu, rechercher une stratégie, c'est directement travailler sur le sens. Il s'agit d'un défi qui consiste à traiter les informations présentes afin de pouvoir progresser dans le jeu. Les stratégies cognitives renvoient à différentes activités liées au traitement de l'information.
00:05:54
Lorsqu'elles concernent la réutilisation des connaissances, elles consistent à sélectionner l'information, à la répéter, la décomposer, à élaborer, à l'organiser. La mise en place de ces stratégies dépend aussi de conditions temporelles, environnementales ou encore matérielles, ou même de ressources qui peuvent avoir un impact sur la qualité de l'activité de l'élève.
00:06:22
À cela s'ajoute la nécessité d'un engagement personnel et actif, pouvant aller jusqu'à un état d'engagement absolu, une expérience optimale du jeu qu'on appelle le flow. Enfin, s'il est difficile d'inférer l'apprentissage, mettre en évidence le traitement de l'information montre que les élèves manipulent le savoir.
00:06:48
Dans un jeu sérieux, où les stratégies sont aussi sociales, nous regarderons également si le travail entre pairs contribue à faciliter ce traitement de l'information. Alors, nous avons défini l'escape game pédagogique comme un jeu sérieux, c'est-à-dire un dispositif, engageant des savoirs et se jouant dans un temps limité.
00:07:13
Il relève d'un processus de médiation visant à faciliter la construction de connaissances. Nous avons mis en avant le lien entre construction de connaissances et construction de sens, et présenté différentes stratégies de traitement de l'information. Or, un jeu chronométré, tel que l'est l'escape game, où la contrainte du temps implique rapidité et organisation,
00:07:43
peut-il être réellement compatible avec la construction de connaissances ? Plus précisément, les stratégies de traitement de l'information suscitées par le jeu sérieux contribuent-elles à favoriser la manipulation des savoirs en jeu ? Alors, afin de répondre à ces questions, nous allons d'abord présenter le jeu qui a servi au recueil de données.
00:08:09
C'est un jeu d'évasion numérique qui se nomme Les Décodeurs. Le jeu a été construit avec l'application interactive Genially. Il a été mis en place auprès de deux classes de BTSA dans le cadre des cours en information-documentation. 55 étudiants sont concernés. Le jeu porte sur l'évaluation de la qualité de l'information
00:08:36
et a été expérimenté dans le cadre d'une séance qui est introductive à cette notion. L'objectif du jeu est de consolider des connaissances sur le concept d'information et d'introduire une démarche spécifique à l'analyse de la qualité de l'information en lien avec le programme scolaire. Les étudiants sont répartis par binôme ou trinôme et sont placés dans la peau de chasseurs de fake news
00:09:03
devant intégrer une équipe de décodeurs de l'information. En ce qui concerne la structure du jeu, je vous présente cette structure en m'appuyant sur le modèle SEGAM, qui signifie Serious Escape Game Model, et qui a été créé pour les jeux d'évasion ayant des fins éducatives et qui permet de mettre en avant les différents niveaux par lesquels doivent passer les joueurs.
00:09:33
Comme vous pouvez le voir sur le schéma, le jeu est constitué de deux salles virtuelles et se termine par un coffre-fort physique qui est situé dans la salle de classe. Les énigmes sont principalement de nature cognitive et aussi font appel à des ressorts physiques, de la fouille virtuelle ou encore des objets cachés.
00:09:58
Dans la première salle, les étudiants doivent trouver et visionner des courtes vidéos, lire un poster qui reprend sous la forme d'énigmes les éléments de savoir principaux. La résolution des différentes énigmes contribue à ouvrir le coffre de la première salle et débloque l'accès donc à une deuxième salle. Cette deuxième salle contient différents jeux et énigmes
00:10:23
liés au savoirs présents dans la première salle. La principale difficulté du jeu réside dans le fait que les joueurs doivent se coordonner et élaborer une stratégie permettant de rassembler les informations nécessaires dans la première salle afin de répondre aux énigmes de la deuxième. Les allers-retours entre les deux salles n'étant pas possibles sans perte de données.
00:10:50
La résolution des différentes énigmes conduit ensuite à un code final qui est composé de six couleurs. Ce code mène à une ultime énigme dont la résolution ouvre le coffre-fort physique qui est situé dans la salle de classe. Pour analyser le jeu, différents types de données ont été recueillies. Tout d'abord, des traces d'observations recueillies pendant le jeu.
00:11:22
Ensuite, des traces de prises de notes spontanées des étudiants bien sûr pendant le jeu. Enfin, un questionnaire en ligne réalisé pendant la première phase de débriefing du jeu et organisé autour de trois axes. La perception du jeu et son organisation. Le traitement des informations dans le jeu. Et l'évaluation de la construction des connaissances.
00:11:53
En ce qui concerne les résultats obtenus. Nous l'avons dit précédemment, tout l'enjeu de l'escape game est à la fois de faciliter la construction de connaissances tout en contraignant particulièrement les joueurs. Ces contraintes à la fois spatiales, cognitives, mais aussi temporelles, reviennent dans la plupart des questionnaires analysés.
00:12:17
Nous citons ici un verbatim évocateur. ▲ lire ci-dessus ▲ Ces contraintes ont conduit à la mise en place de différentes stratégies.
00:12:43
De manière générale, nous pouvons mettre en évidence que la mise en place d'une stratégie d'équipe pour traiter efficacement les informations présentes dans le jeu apparaît déterminante. Cette stratégie d'équipe est sous-tendue par une organisation complexe. Tout d'abord, une organisation de l'espace du jeu.
00:13:06
L'espace virtuel du jeu numérique est augmenté d'un espace clos physique entre les différentes équipes. Les joueurs se mettent dos à dos placent des objets frontières. On sent vraiment que l'espace du jeu devient leur espace de jeu et que l'esprit de compétition est bien là. Deuxième point dans l'organisation,
00:13:34
une répartition des rôles dans la gestion du temps, la prise de note, la manipulation de l'ordinateur et un oeil sur l'équipe adverse. Enfin, troisième point dans l'organisation de l'équipe, une écoute et une régulation entre les différents membres. Écoute, entraide permettent ainsi l'adaptation de stratégies en fonction des résultats obtenus.
00:14:02
En ce qui concerne maintenant les stratégies de traitement de l'information. L'analyse des résultats met en avant deux stratégies, l'une qui sert l'objectif utilitaire du jeu et l'autre qui relève d'une stratégie pour gagner. Alors, je vous donne ici un exemple pour la stratégie qui relève de la catégorie d'action
00:14:28
qui est liée à la sélection de l'information. Alors, lorsque cette sélection de l'information sert l'objectif utilitaire du jeu, nous remarquons que les étudiants font l'effort... de rechercher l'information, de prendre des notes à partir des informations présentes dans la vidéo. à partir des informations présentes dans la vidéo. Alors que lorsque cette sélection de l'information
00:14:52
s'inscrit dans une stratégie pour gagner, on observe plutôt que les étudiants éludent volontairement les éléments de savoir, visionnent les vidéos en accéléré et sélectionnent seulement les informations qui jugent pertinentes pour avancer dans le jeu et débloquer le code. Donc ici, la vidéo est vraiment détournée de sa fonction première de diffusion des savoirs.
00:15:16
Par ailleurs, on peut noter aussi que certaines équipes cherchent à tout prix des indices et attribuent le statut de document, donc d'indice, à de simples éléments du décor, comme par exemple des pendules. Ces différentes stratégies pour apprendre et pour gagner peuvent être utilisées en parallèle par les joueurs.
00:15:42
On voit par exemple ici deux types de traitement de l'information pour la stratégie qui relève de l'organisation de l'information, donc la stratégie "organiser". Dans la première figure, nous voyons que les équipes font un effort de schématisation de l'information contenue dans la vidéo. Il y a vraiment cette volonté d'organisation de l'information.
00:16:09
Dans la deuxième figure... ce sont les joueurs de la même équipe qui créent sur papier un méta-espace du jeu. Ils essayent donc d'établir à travers ce méta-espace des rapports d'ordre entre les différentes énigmes. Alors toutefois, prioriser une stratégie plus qu'une autre
00:16:36
peut vite s'avérer périlleux. Ainsi, par exemple, les joueurs qui s'inscrivent dans un traitement de l'information qui relève d'une stratégie pour gagner, on remarque qu'une optimisation excessive de l'espace et du temps du jeu atteint rapidement ses limites et montre aussi le manque d'anticipation des joueurs.
00:17:00
Ils disent par exemple, ▲ lire ci-dessus ▲ Ce manque d'anticipation laisse par ailleurs place à une stratégie "d'essais-erreurs" qui parfois peut être poussée à l'extrême. On a par exemple une équipe qui remplit les mots croisés en testant des lettres au hasard,
00:17:23
sans se référer à l'énigme et encore moins aux éléments de savoir. Alors à l'inverse, les quatre groupes qui prennent bien le temps d'analyser les informations, de prendre des notes pour résoudre les différentes énigmes, eux aussi se retrouvent en difficulté pour finir dans les temps. Donc on voit ici vraiment le rôle ambivalent du temps
00:17:47
dans la mise en place de ces stratégies. Il s'agit d'en prendre, mais sans trop en perdre. Donc nous pouvons maintenant nous demander si les stratégies mises en place par les joueurs permettent de construire des connaissances. L'analyse des réponses apportées au questionnaire, qui sont relativement lacunaires, ne montre pas de réelle construction de connaissances.
00:18:15
Certaines réponses font état de non-sens dans les éléments de savoir présentés. Ces premiers résultats sont corroborés par les réponses apportées par les étudiants à la question « qu'avez-vous appris ? ». Les nouveaux savoirs disciplinaires présents dans la première étape du jeu restent très faiblement perçus. Au contraire, le jeu est majoritairement envisagé
00:18:40
comme une consolidation de connaissances antérieures. Par ailleurs, les étudiants ont conscience d'avoir été familiarisés à de nouvelles notions, mais ne sont pas du tout capables de les citer. Enfin, certains évacuent même la référence "aux savoirs disciplinaires", en mettant l'accent sur des compétences beaucoup plus transversales,
00:19:05
liées par exemple à la résolution d'énigmes. En conclusion, nous pouvons dire que, si l'intention qu'a fait naître le jeu était de faciliter la construction de connaissances, nous voyons notamment que les stratégies de traitement de l'information déployées par les joueurs ne servent pas toujours l'objectif utilitaire du jeu. Par ailleurs, un jeu ne peut être utilisé
00:19:35
de manière complètement autoportée. Le rôle de l'enseignant est donc essentiel pour tisser les liens avec les éléments de savoir. Par ailleurs, nous pouvons dire que le processus de médiation des savoirs est ici marqué par l'incertitude, les difficultés rencontrées par les joueurs, les contraintes temporelles, mais également la volonté de gagner
00:20:01
ont engendré des stratégies de contournement, voire d'éviction de certains éléments de savoir. Nous voyons donc là le rôle essentiel des joueurs qui, à travers leur manière de vivre le dispositif, offrent également la possibilité de le recréer, mais aussi de le transgresser.
00:20:27
Je vous remercie pour votre attention et vous donne rendez-vous le 12 mars pour les échanges en direct.
End of transcript