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Bonjour à tous ! Donc je suis Yves Reuter. Je suis professeur émérite... à l'université de Lille, après avoir enseigné en collège, en école normale et en... en lycée ! Je suis chercheur en didactique, et sur les pédagogies alternatives, et sur l'échec et le décrochage scolaire.
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Et en terme de laboratoire de recherche, je suis rattaché au CIREL : le Centre Inter-universitaire de Recherche en Education de Lille. Ma conférence s'intitule donc : "A la recherche des paroles d'élèves". Et j'aborderai quatre points dans mon intervention : Quelques raisons de l'importance des paroles des élèves,
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les multiples modes de présence des paroles des élèves, quelques principes méthodologiques, et quelques exemples d'éclairages, à partir des recherches menées sur la pédagogie Freinet et sur le décrochage scolaire. Alors... premier point : Quelles sont les raisons de l'importance des paroles des élèves pour les chercheurs ?
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Elles sont multiples mais j'en privilégie deux ici. au même titre que les erreurs, et je renvoie là aux travaux d'Astolfi et aux miens, les paroles de élèves constituent une porte d'entrée dans les fonctionnements des systèmes pédagogico-didactiques. Et elles éclairent, au moins partiellement...
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à des modes de pensée des élèves, ce qu'ils comprennent ou pas, ce qu'ils vivent bien ou non, et pour quelles raisons. Il s'agit donc d'un outil essentiel, aussi bien pour les chercheurs, que pour les enseignants, voire pour d'autres professions qui s'y intéressent. Si j'aborde maintenant mon second point,
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à savoir les modes de présence des paroles des élèves il me semble qu'ils sont multiples, et que leur diversité n'est pas toujours perçue. Une des catégorisations possible est : d'une part ce qui est généré par la recherche elle-même, et d'autre part ce qui est utilisé par la recherche,
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sans avoir été généré par elle. Donc on pense ainsi traditionnellement à ce qui est généré par la recherche, au travers des questionnaires ou des entretiens. Cela soulève quand même... quelques problèmes à débattre, qui me semblent encore trop rarement évoqués. Premier problème : soit on considère ces techniques comme un continuum,
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en termes de longueur, par exemple, les questionnaires... produisant des déclarations plus courtes, à la différence des entretiens, soit on considère leurs différences, les questionnaires imposent à l'enquêté de se couler dans les modes de pensée de l'enquêteur. Alors que les entretiens, un peu moins directifs visent plutôt à appréhender les modes de pensée des enquêtés.
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Deuxième problème : on oublie aussi parfois que ces questionnaires ou entretiens peuvent être écrits ou oraux. avec à chaque fois des intérêts et des limites. Troisième problème : ces questionnaires peuvent aussi être anonymes, ou pas, selon le circuit de communication où ils sont insérés, les implications, les risques,
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par exemple pour les élèves ce qui concerne la triche, ou la gêne possible, par exemple ce qui concerne le harcèlement ou certaines formes d'agression. A côté de cette première catégorie, il existe aussi des paroles utilisées par la recherche sans avoir été générées par elle. Il peut s'agir de paroles licites,
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qui sont recueillies au travers d'observations ou d'échanges, dans des travaux de groupes, de textes libres, il s'agit aussi d'ateliers, il s'agit aussi d'écrits ! Voir par exemple les travaux de Claudine Fabre sur les ratures des élèves, ou tous les travaux sur les erreurs. Donc là on est devant des paroles recueillies... Il peut aussi s'agir de paroles illicites.
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Par exemple les petits mots échangés entre les élèves, les cahiers de lycéennes, étudiés par Dominique Blanc à Toulouse, les graffitis, les inscriptions dans les toilettes, les inscriptions sur les tables. Il peut aussi s'agir de paroles hors circuit scolaire, qu'elles soient licites ou non, je pense ici aux textos, aux mails, etc.
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et je pense aux travaux d’Élisabeth Gimenez. J'ajouterai une parole sur ce point, les paroles des élèves sont plus ou moins apparentes et développées selon les pédagogies. Quelques principes méthodologiques maintenant. C'est mon troisième point... que je vais traiter en m'excusant si c'est déjà bien connu de vous. J'évoquerai en premier lieu les quelques principes
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qui concernent le recueil des paroles. Cela concerne d'abord la posture, qui se caractérise à mon sens par la confiance... de la parole des élèves et l'humilité. En d'autres termes l'autre, quel qu'il soit, aussi jeune soit-il, aussi en difficulté soit-il, dit quelque chose, qui a un sens,
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qui est intéressant, et l'humilité c'est que la position de l'enquêteur n'est pas une position haute. C'est lui qui met... l'enquêté dans une position haute, qui pourrait se formuler ainsi : "J'ai besoin de toi, ou de vous... pour comprendre ce que je ne comprends pas. J'aimerais bien que tu m'expliques, tu sais mieux que moi."
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J'insisterai encore, sur l'importance de l'ouverture et de la clôture dans cette perspective. Par exemple, et ce n'est qu'un exemple en ouverture... Comment l'autre souhaite que je m'adresse à lui ? Au "tu", au "vous" ? Et en fin d'entretien, les remerciements appuyés, qui sont le gage de la possibilité d'une nouvelle rencontre, et de l'envie que pourra avoir d'autres enquêtés de venir
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Et j'ajoute une question complémentaire qui leur appartient : "As-tu quelque chose que tu souhaites ajouter ?" En ce qui concerne les modalités de transcription toujours dans la même méthodologie, et on oublie ça alors que c'est fondamental, il me semble qu'elles sont ajustées en fonction de ce qui est recherché du cadre interprétatif. Par exemple selon le cadre qu'on a, on prend en compte ou non
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les silences, la tonalité, le rythme, la gestualité, etc. C'est une décision. Et puis, pour ce qui concerne l'analyse et l'interprétation, je m'en tiendrai, ici, à trois remarques. L'analyse peut prendre en compte, non seulement le contenu mais aussi la posture plus ou moins assurée
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et explicative face à l'enquêteur. La manière de gérer l'interaction. Par exemple, à la différence d'élèves dans une pédagogie classique, les élèves en pédagogie Freinet, demandent à l'enquêteur des reformulations, signalent qu'ils n'ont pas compris, expriment leur désaccord, leurs discours sont plus détaillés,
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ils prennent spontanément des exemples, ils modalisent aussi, plus, leur discours. La seconde remarque sur... l'analyse de l'interprétation... concerne le sens des mots, qui est rarement partagé entre enquêteurs et enquêtés. Alors, par exemple à l'heure actuelle avec les jeunes, on remarquera que le terme "choqué"
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va perdre la dimension plutôt négative qui pouvait exister chez les plus anciens. Moi par exemple. Ou dans une ancienne enquête sur la lecture, je pense aux travaux de Nicole Robine, les jeunes travailleuses qui disaient qu'elles aimaient lire des livres romantiques... renvoyaient en fait à des ouvrages sentimentaux de la collection Arlequin. Donc en fait il faut toujours être prudent
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dans l'interprétation des termes employés. Ma troisième remarque porte sur la construction du sens par les élèves qui peut s'avérer fort différent du sens recherché par les enseignants. Ainsi, dans notre enquête sur le rapport entre le vécu des disciplines scolaires et le décrochage une jeune fille nous a expliqué que l'anglais était important pour elle,
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parce que si elle rencontrait Justin Bieber elle souhaitait pouvoir échanger avec lui. Je pense encore aux sens fort différents qui peuvent être attribués à une profession. Ainsi toujours dans la même enquête, et dans le bassin minier, un élève d'un milieu plutôt favorisé, cette fois-ci, vivant en ville à Lille nous expliquait que l'anglais était important pour lui,
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car il voulait plus tard avoir une profession dans le commerce. Alors qu'une élève d'un milieu défavorisé et vivant dans une petite bourgade d'un bassin minier nous expliquait que l'anglais était peu important pour elle car elle voulait faire "commerce". Dans le premier cas il s'agissait de commerce international après un passage en école de commerce, dans le second cas de travailler dans la boutique de vêtements,
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de son village, après un arrêt de ses études assez rapide. J'ajouterai une dernière remarque que l'on n'effectue pas aussi fréquemment que ça alors qu'elle me semble fondamentale, il n'existe pas à mon sens... quand on s'intéresse aux paroles des élèves de paroles qui seraient négligeables, car isolées, uniquantitavivement. Certaines paroles isolées peuvent ouvrir des portes interprétatives,
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négligeables statistiquement, elles peuvent être très significatives, par exemple cet ancien élève qui nous a dit : "Le décrochage était le seul choix dont je disposais dans un univers où tout était imposé." J'arrive maintenant à mes exemples. Donc, quelques exemples d'éclairage, à partir de la recherche menée sur la pédagogie Freinet,
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et sur le vécu disciplinaire, vous avez les références de ces deux ouvrages. Premier exemple... la question des normes de la violence. Lors de la recherche sur la mise en œuvre de la pédagogie Freinet à Marcq-en-Barœul, dans une banlieue défavorisée de Lille, nous avions été surpris lors du dépouillement de questions fermées d'un questionnaire
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car les réponses des élèves indiquaient que le sentiment de violence avait augmenté dans les années qui suivaient le début de l’expérimentation, ce qui n'était pas le cas à notre sens. Dès lors, un dépouillement précis des réponses aux questions ouvertes a permis de voir qu'en fait c'étaient les normes des élèves qui avaient changées. La crainte des autres s'était réduite,
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les élèves déclaraient moins de coups et d'insultes que dans les autres écoles, mais... un peu plus de bousculades et de disputes alors que ces catégories sont rarement déclarées dans les violences, dans les écoles de milieu populaire. Cela signifiait que ce qui était considéré comme normal au début de notre recherche, injures, bagarres, ne l'était plus au bout de quelques années.
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le seuil de tolérance avait diminué, et les catégories de enfants s'étaient rapprochées de celles des adultes. Toujours dans le cadre de la recherche sur la mise en œuvre de la pédagogie Freinet dans une banlieue défavorisée de Lille, j'avais proposé la consigne suivante pour des récits qui sollicitaient le vécu.
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Je cite là cette consigne : "Raconte une soirée que tu as réellement vécue, et qui t'a marqué." J'avais accompagné ces récits d'un certain nombre de questionnaires et d'entretiens, en partie autour de la notion de privé, d'intime, de personnel, qui telles quelles construites par les élèves au travers de désignations plus variées : secrets, secrets de famille ; me semblait relativement complexe.
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Elles s'élaborent en effet autour de trois dimensions de l'interaction La localisation, il s'agit essentiellement de ce qui se passe en dehors de l'école. Le rapport à la personne, il s'agit de ce qui la touche vraiment, par exemple divorce des parents, décès d'un être cher, sentiments amoureux, paroles confiées, et le rapport à la communication.
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Il s'agit de ce qui ne peut... ne doit se dire... qu'à soi-même. Ou à des alter egos. Il s'agit en tous cas de ce qui ne peut se dire... dans les circuits publics ou scolaires ordinaires. Dans ce cadre on voit bien que les récits sollicitant le vécu ont un statut didactique problématique.
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Pour une majorité d'élèves il conviendra d'éviter de donner de telles consignes à l'école. Il n'existerait pas d'aide ou d'appui possible dans les films et les autres écrits, puisque les évènements et les sentiments alors ressentis sont uniques et singuliers. Pour les mêmes raisons, l'apprentissage ou l'enseignement en serait impossible. En outre, ces textes seraient peu modifiables,
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sauf à la marge, sur l'orthographe par exemple, puisque le critère essentiel de pertinence, est la conformité au réel, que l'élève a mis en œuvre, et qu'il est le seul à pouvoir garantir. Que le maître demande des modifications conséquentes serait donc vécu comme un coup de force difficilement acceptable. Cette conception est très largement partagée
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par les élèves de fin d'école primaire. Elle est sans doute discutable, mais elle a le mérite de la cohérence, et nécessite encore qu'on s'y arrête sur deux points, qui confortent ce statut didactique problématique. En premier lieu, pour nombre d'élèves, l'appel aux souvenirs fait qu'on revit les événements et les émotions. On se remet dedans.
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Ce qui ne favorise sans doute pas une position distanciée, réflexive, quant au texte. En second lieu, et la remarque est récurrente, cela serait peut adapté aux enfants, soit parce qu'ils ont moins de souvenirs que les adultes, soit parce qu'ils ont moins de choses intéressantes à dire que les adultes. L'opposition activée est en tout état de cause
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l'opposition entre adultes et enfants. On voit ici à quel point, les paroles des élèves sont susceptibles d'éclairer des modes de pensée d'élèves, d'aider à comprendre certaines de leurs difficultés, et de stimuler la réflexion des enseignants. Le troisième exemple que je prendrai, renvoie à la même recherche, mais porte cette fois-ci sur la question
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de la compréhension de la consigne, que je rappelle donc : "Raconte une soirée que tu as réellement vécue et qui t'a marqué." L'analyse des textes produits pouvait laisser penser que les élèves n'avaient pas bien lu ou compris la consigne, puisqu'un certain nombre d'entre eux racontait un événement qui ne s'était pas passé lors d'une soirée.
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Mais les entretiens avec les élèves des écoles Freinet ont montré que certains d'entre eux s'étaient sentis obligés de choisir entre le moment, la soirée, et ce qui les avait particulièrement marqué, ce qui ne s'était pas forcément passé lors d'une soirée. Donc, plus que d'une incompréhension, il s'agissait d'une prise de distance, qui révélait une position d'autonomie et de réflexivité,
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et qui mettait au jour les différentes facettes possibles de la consigne. Je dirai, pour conclure sur cet exemple, que cela me semble manifester, au moins... deux phénomènes. Les paroles ne sont pas simples à interpréter, en l’occurrence ce qui semblait indiquer un problème manifestait en réalité une position intéressante. Et puis, les croisements de technique de recueil sont souvent précieux,
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voire, indispensables. Voilà ! J'espère que cela a pu vous apporter quelques éléments sur les thématiques au centre de ces webinaires, et que j'ai été à peu près compréhensible... malgré le rhume que j'ai à l'heure actuelle. Je vous remercie en tous cas de votre attention,
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et je me réjouis de pouvoir dialoguer avec vous en février je vous rappelle trois références importantes pour moi : un ouvrage que j'ai dirigé en 2007, "Une école Freinet. Fonctionnements et effets d'une pédagogie alternative en milieu populaire." chez l'Harmattan. Un deuxième ouvrage, en 2016, que j'ai dirigé "Vivre les disciplines scolaires. Vécu disciplinaire
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et décrochage à l'école." chez ESF. Et puis un ouvrage que j'ai publié l'année dernière, chez Berger Levrault "Comprendre les pratiques et pédagogies différentes".
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